Depuis bien longtemps l’Homme et la Nature
Lorsque nous entendons Philippe Roch 1 nous remettre en mémoire que nous sommes tous les héritiers de « 4 milliards d’années de vie animale, de 400 000 ans de partenariat avec le feu et de 50 000 ans de civilisation paléolithique pendant laquelle l’homme était totalement immergé dans une vaste nature sauvage » … il est bien difficile de nier notre appartenance au monde naturel. Or ce lien avec la Nature est moins fort aujourd’hui, dans les sociétés occidentales surtout, qu’il l’a été de par le monde pendant de nombreux siècles, avec le culte de la Grande Mère.
Historiquement c’était avant l’établissement des dieux masculins des religions patriarcales.
On pense que divers cultes lui furent rendus dont le culte primitif de la Terre, de la fertilité et de la fécondité, pratiqué universellement à la fin de l’Âge de la pierre taillée (10 000 av. J.-C.), puis sous différentes formes selon les régions et les époques.
Grande Mère Divine des celtes
Ainsi en était-il chez les Celtes, pour qui la déesse Birgitt (Brigitte après la christianisation) symbolise dans son intégralité ce que Goethe a appelé l’éternel féminin, sans qu’on doive en faire une Déesse Mère au sens de la fertilité. D’elle se réclament les poètes, les gens de sciences et les forgerons »

Qu’elle soit la Mère que devient la Brighid, fille/femme-fleur d’Imbolc, et/ou le côté maternel de la sombre Morrighane, cette déesse mère est symbole d’abondance. Elle a été jeune et lumineuse comme Brighid, elle donne la vie et Morrighane la reprend. C’est le cycle de la vie-mort-vie, entre les mains de déesses distinctes mais complémentaires/complices, à la fois trois et une. Ses prêtresses étaient à la fois celles qui accueillaient la vie (des sages-femmes) que celles qui accompagnaient la mort (s’occupant de rites funèbres).
Elle a été priée, vénérée et célébrée en tant que mère des dieux, qui est au-delà de tous autres dieux de ce monde. Elle incarne la fertilité et la richesse de la Nature.
En tant que divinité solaire ses attributs sont la lumière, l’inspiration et toutes les compétences liées au feu, parmi lesquelles la guérison et la magie (attributs également d’ Yseult !)
Comme nous le rappelle Monique Tedeschi2 les feux de l’inspiration, comme l’a démontré la poésie, et les feux du foyer et de la forge, sont considérés comme identiques. Dans l”univers celte, il n’y a pas de séparation entre les mondes intérieur et extérieur.
En Irlande, la Grande Mère est connue comme la déesse Dana, dont nous (re)faisons la connaissance avec Flidais-Airmeth3 , qui lé décrit comme étant la mère des dieux et des humains, la « Tribu de la déesse Dana ». Son nom signifie sagesse, ou enseignante, ou encore don.
A elle seule elle incarne la Terre – l’Irlande – mais aussi la Terre Mère entière et vivante et elle est la mère de toute vie.
Elle demeure le reflet perdu et oublié des femmes des sociétés celtiques.
Elles étaient loin d’être de simples reproductrices mais, on peut supposer, à l’image de Dana, femmes fortes de se connaître et d’être douées du pouvoir de donner la Vie, vivant dans un esprit d’égalité et d’équilibre.
Ainsi Yseult est une femme celte, à l’image de Dana, forte, animée d’un esprit d’égalité entre hommes et femmes, qu’elle fera vivre autant que possible dans la société où elle vit.
De nos jours, les irlandais, de par leur vénération de Saint Brigitte, rendent hommage à la mère divine (Dana) du peuple dont ils ont fait désormais la mère du petit peuple, ou peuple des fées, invisible, de l’Irlande moderne.
Dans le mythe irlandais de la Création, comme on le trouve dans le Book of Conquests of Ireland, texte du Moyen-Age chrétien, les Tuatha de Dannan sont venus en Irlande du ciel ou des îles de nord du bout du monde.
Dans les autres parties du monde celte Dana (Ana, ou Anu) avait des équivalents (Don en Pays de Galles, Nantuoselta en Gaule) mais on peut croire qu’elle fut pour les peuples et tribus celtiques la plus ancienne représentation de la Déesse Mère.
Au coeur de toutes ces données demeure un mystère car qui peut dire qui était Dana ? Est-elle celle à partir de laquelle on a modelé Lilith ? Ou encore Eve, mère des chrétiens ? Ou Marie la Vierge Mère de Jésus, ou Anne la Mère de celle-ci ?
Il y a de même des questions, des confusions, comme dans toutes les mythologies, pour ce qui est de la généalogie de Dana. Elle peut être considérée comme fille de Dagda, aussi son époux et son égal, car aussi père des dieux et des hommes. Mais, dans d’autres versions, Dagda devient le fils de Dana et Bile, son amant et égal, celle-ci reprenant alors sa place à la source de toute vie.
Dana, l’eau et la Terre, qui a arrosé et abreuvé le Chêne, qui est Bile, en tant que symbole de fertilité masculine. Ainsi est né le Dagda, qui a donné naissance à une pléiade d’autres dieux. Bile est le vieux terme irlandais pour désigner un arbre sacré tout en étant à la fois une manière de décrire un noble guerrier. Sous un certain angle, on peut voir autrement aussi la fonction qui est sienne d’emmener les âmes des morts dans l’autre monde, alors qu’il le fait via l’eau. Quand on sait que l’eau, depuis fort longtemps, est celle d’où naît la vie et qu’elle figure de « mer-mère » de toute vie, qu’elle fut et est encore au coeur de tant de cultes qui la vénèrent d’une manière ou d’une autre, alors on peut voir en Bile cet égal de la Déesse Mère, celui qui lui emmène les morts pour faire naître la vie. Il lui emmène les morts, et sème pourtant aussi la vie en son sein.
Dans la légende il est question de vie dans l’au-delà
L’au-delà de soi, ainsi depuis leur rencontre Yseult a inspiré Tristan pour qu’il s’ouvre à cela, dans cette vie. Et, après leur mort, la vigne et le rosier enlacés et indestructibles (texte d’Eilhart) sont symboles de vie.

D’après Caitlin Urksa 4 dans le monde celte, les arbres fournissaient tout ce qui est nécessaire à la subsistance : des fruits pour se nourrir, du bois pour construire et fabriquer des armes, du combustible pour se chauffer et cuisiner, et de l’écorce pour les potions médicinales et pour le tannage du cuir. Les arbres n’étaient pas simplement utiles, ni même sacrés, ils étaient considérés comme des divinités, les ancêtres de l’humanité.
Bile peut être considéré comme l’arbre/axe du (des) monde(s) (ce qu’est Yggdrasil dans la tradition nordique).
Certains comparent Bile à une sorte de Hadès, car il est un dieu portant les morts vers son équivalent divin et féminin.
Il est l’arbre du monde, qui s’élève vers le ciel et danse dans le vent, tout en plongeant ses racines dans les chairs de la terre et s’y abreuvant.
On voit donc beaucoup de résonances celtes avec la mer, avec Yseult, avec les fées et avec la question de la vie et de la mort.
Pour ce qui est d’aujourd’hui l’on peut penser, avec JF Bradu5 , que le culte de la déesse-mère est ancré dans notre mémoire ancestrale. Même s’il est nié ou refoulé, l’aspect féminin du divin demeure en chacun de nous, disposé à réapparaître, ce qui apparaît indispensable aux sociétés actuelles.
Sur ce sujet vous trouverez des éclairages dans le texte
La Grande Déesse au temps d’Yseult … et de tout temps :
La Grande Déesse et les déesses de fertilité
Isis en Egypte et au-delà
Aujourd’hui
En complément
Quelques références
- Philippe Roch Le penseur paléolithique Labor et Fides, 2022 ↩︎
- http://www.druidry.org/obod/deities/brigid.html ↩︎
- http://deesse.feminin-sacre.org ↩︎
- Caitlin Urksa https://scathcraft.wordpress.com ↩︎
- http://jfbradu.free.fr/celtes/index-celtes.php3 ↩︎
Catherine Rouaud audelà-d-yseult-et-tristan.com