Le monde imaginal d’Yseult et Tristan

Le monde imaginal d’Yseult et Tristan

Dans les différentes versions de Tristan et Yseult on trouve le récit de deux rêves : un fait par Mariadoc, ami de Tristan, et l’autre par Yseult (texte Les rêves)

C’est une façon d’être en contact avec le monde imaginal, monde où se situent aussi les contes, les visions … les légendes, et bien plus comme on peut le voir dans le texte Monde Imaginal

Ce monde imaginal est donc bien différent d’un monde imaginaire.

C’est un intermonde entre le sensible et l’intelligible, intermonde sans lequel l’articulation entre le sensible et l’intelligible est définitivement bloquée. On pourrait dire entre le matériel et le spirituel, entre le visible et l’invisible. C’est le monde de l’âme, dans lequel, nous dit Henry Corbin1, les âmes se corporalisent et les corps se spiritualisent.

Plus récemment Lydie Salvayre2, pour dénoncer le procès fait à Don Quichotte de vivre dans l’illusion plutôt que dans la réalité, écrit :
« Depuis le promontoire de ses songes où une tout autre lumière vient nimber les choses et les hommes, sa vision corrige en quelque sorte la myopie dont nous sommes atteints lorsque nous les voyons uniquement éclairés par notre froide et sèche raison. »

Le monde imaginal, les enjeux imaginaux, sont très présents dans la légende de Tristan et Yseult.
L’axe fort est en effet la vie de leurs âmes, en interrelation l’une avec l’autre dans leur individuation (texte Individuation de Tristan avec Yseult), ce qui est un domaine essentiel de la psychologie jungienne. Nous allons donc aborder ces aspects avec des termes de cette psychologie, signalés par *, que vous retrouverez dans le lexique lorsque vous passerez sur ces mots.

Pour Tristan, son père étant mort avant sa naissance et sa mère quelques jours après, il se trouve ainsi dans la vie sans parents de chair, et son développement psychologique et spirituel, son individuation *, va passer par les processus vécus avec ses parents symboliques et imaginaux.

Tout d’abord il a ressenti le besoin de vivre proche du frère de sa mère. Cela lui créera bien des déboires. Le roi Marc peut représenter l’Animus * de sa mère, du moins une facette, mais il ne peut être son père symbolique, ce qu’est Rohalt, qui l’a élevé. Celui-ci vient en effet donner au château de Tintagel l’information que Tristan est le fils de Blanchefleur, donc le neveu de Marc . Il est ainsi
porteur de la Loi, dans le réel, et permet à l’imaginal, la mère humaine ayant été nommée, d’émerger, dans la recherche de la conjonction avec la mère imaginale, versant spirituel de l’ archétype *.
Ceci passera par la rencontre avec Yseult la blonde, image extérieure de son Anima *, puis par la révélation progressive, en relation avec elle, de son Anima intérieure, de son âme. Son Anima se développe ainsi dans le conscient et dans l’inconscient, le liant à l’ inconscient collectif *.
Lorsque Yseult quitte l’Irlande avec Tristan, elle acquière son autonomie par rapport à sa mère et permettra à celle-ci de devenir cette mère imaginale dont se réclamera plus tard Tristan.

Pour M Cazenave 3« le problème de Tristan est imaginal ….. il doit remplacer le roi Marc par son vrai double psychique, Kaherdin », pour accéder au versant spirituel de l’ archétype du père.
Le hanap dans lequel ils boivent le philtre sur le bateau est aussi de nature imaginale puisque ce sont leurs âmes qui vont être touchées par ce breuvage.
Michel Cazenave 3 encore : « Le vin herbé, comme soleil et comme lune mélangés, comme transcendance qui s’opère du Féminin et du Masculin archétypes … conduit à un plan d’être qui est à la fois immanent et indexe le destin sur un autre réel, c’est à dire une imaginalisation »

Le monde archétypique se réalise en se transformant peu à peu dans le monde imaginal, le processus imaginal se poursuivant ainsi vers le Soi * avec la décantation de l’ archétype de la mère, la poursuite de l’intégration de l’ Anima.
Ceci se fait avec l’aide essentielle de la Grande Mère (voir publication “Sur l’Archétype de la Grande Mère” sur groupesdereves.com), en particulier lorsque les amants vivent dans la forêt du Morois, en pleine Nature.

Quand il vient à la cour du roi Marc, déguisé en mendiant, demander Yseult, Tristan rêve à voix haute de la salle de cristal dans une très belle métamorphose imaginale du château . Yseult demande alors que cette métamorphose se réalise dans leurs âmes, que cette imaginalisation se produise au lieu de se dire.

Plus tard, quand Tristan n’est plus avec Yseult la blonde mais avec Yseult aux blanches mains, il se confronte à la facette négative de l’ Anima, projection dans son âme de la face sombre de l’ archétype .

Plus tard encore, si leurs destins ne les réunissent pas dans cette vie, la conjonction de leurs âmes est possible, au-delà de la mort, dans le monde imaginal.

Rogelio_de_Egusquiza_-_Tristan_and_Isolt_(Death)

C’est un monde riche, fascinant, le monde des archétypes, auquel cette légende, comme bien d’autres, nous invite, ainsi que nos rêves.

  1. Henry Corbin, Corps spirituel et terre céleste, Buchet-Chastel, 1978 ↩︎
  2. Lydie Salvayre, Rêver debout, Seuil, 2021 ↩︎
  3. Michel Cazenave La subversion de l’âme, Mythanalyse de l’histoire de Tristan et Iseut L’esprit jungien Seghers 1981, p 193 ↩︎

Sur ce sujet vous trouverez des éclairages dans le texte Monde imaginal
d’après Henry Corbin, Sohravardi, Sri Aurobindo et d’autres philosophes spiritualistes

Catherine Rouaud audelà-d-yseult-et-tristan.com

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